Surélévation et copropriétés à Paris : le mariage impossible ?

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Surélévation et copropriétés à Paris : le mariage impossible ?

Surélever un dernier étage d'immeuble est (re)devenu depuis quelques années une opportunité de valorisation unique pour les copropriétés. Désormais, elles peuvent même vendre leurs droits de surélévation à des promoteurs spécialisés ou des particuliers qui rêvent d'un dernier étage avec vue. Mais pourtant, ce marché peine à décoller. Pourquoi offre et demande ont-elles tant de mal à se trouver ? Psychologie, vous avez dit psychologie ? Prenons de la hauteur.

Un contexte réglementaire très favorable

On le sait, la réglementation s'est largement assouplie ces dernières années en faveur de la surélévation. En cause, la nécessité de retrouver des logements à Paris et de lutter contre l'étalement urbain. Le foncier aérien apparaît désormais comme une source inespérée de constructions nouvelles, permettant en outre de lutter contre le réchauffement climatique en végétalisant les toits. Une aubaine.  

Aujourd'hui, plus de 9.000 immeubles ont été recensés avec un potentiel de surélévation principalement :

  • des toits plats plus souvent sur des immeubles des années 70 ou faubouriens dans des arrondissements périphériques type 18ème, 19ème ou 20ème.
  • des dents creuses, c'est-à-dire des petits immeubles ou des maisons de ville encadrées par deux immeubles plus hauts, que l'on trouve de façon très diffuse dans Paris, parfois aussi aux angles de rues.
  • des derniers étages avec un toit en pente mais un potentiel de hauteur restant à exploiter, typiquement des anciennes chambres de bonne ou des combles.

Fait majeur du dispositif réglementaire qui s'est largement assoupli : il est désormais possible pour une copropriété de céder son droit à la surélévation.

avant après de surélévation à Paris

Après/Avant d'une surélévation de deux étages

Des acteurs spécialisés émergent

Comme souvent avec de nouvelles niches de marché, des acteurs spécialisés se créent également pour les exploiter.

Techniquement en effet, ce sont des projets complexes que peu de copropriétaires sont capables de gérer seuls en matière de maîtrise d'ouvrage. Il faut par exemple s’assurer que le sol est suffisamment solide via un carottage, que la structure de l’immeuble permet une surélévation ou que le Plan Local D'Urbanisme (PLU) autorise ce type de travaux dans la zone choisie. Une telle expertise n’est pas aisée à obtenir seul et prend énormément de temps.

Pour Guillaume Boussuge, associé de Un toit dans le ciel, "il y a peu de chance que la copro accepte qu’un particulier achète le toit à surélever comme cela". Rajouter un ou plusieurs étages, c'est aussi l'opportunité de reprendre la façade pour harmoniser la construction et faire en sorte que tout l'immeuble soit amélioré, qu'il ait une nouvelle signature visuelle. Quand on nous confie un immeuble, on ne récupère pas le même” poursuit-il.

Pour surélever, les entreprises spécialisées utilisent surtout des structures en bois légères avec des matériaux écologiques pour ne pas alourdir l'immeuble. Elles sont même souvent assemblées dans des ateliers extérieurs et posées ensuite sur le toit. Pour Philippe Pozzo di Borgo, dirigeant fondateur de Aeleva, "Il faut pouvoir faire venir grues, échafaudages, camion de livraison et envisager un doublement du temps de chantier si les conditions d’accès sont mauvaises". Cela créé aussi des nuisances sonores pour les résidents. "Un chantier de surélévation dure en moyenne entre 10 et 12 mois, en sachant que le gros œuvre, même en ossature légère, partie générant le plus de nuisances, dure environ 2 mois", indique Vincent Furer, président de Valerty, société spécialisée dans la surélévation d’immeubles.

Pour ce type de projets lourds, il est donc préférable de passer par des professionnels de la surélévation, comme souvent d'ailleurs pour qu'un projet de rénovation reste un bon plan.  

exemple de surélévation

Surélévation de deux étages rue Pernety (14ème)

Une garantie juridique rassurante

Ces entreprises disposent bien sûr de partenaires architectes, avocats, notaires, bureaux d’études et assurances tous risques chantiers qui permettent de rassurer une copropriété.

La création d’un ou de plusieurs niveaux supplémentaires n’est en effet pas neutre sur la structure de l’immeuble ni sur celle des immeubles mitoyens. Des fissures nouvelles, des nuisances visuelles ou des affaissements peuvent susciter de nombreux litiges voire déboucher sur des procédures. Autant être bien couvert.

Les sociétés spécialisées en surélévation sont par contre souvent des petites structures. Ce sont d'ailleurs de petits projets sur mesure de 1 ou 2 étages avec rarement plus de 5 ou 10 logements supplémentaires.

surélévation logements sociaux

Surélévation de logements sociaux rue Raymond Losserand (14ème)

Une aubaine financière pour les copropriétaires

Financièrement, pour que cela soit attractif pour les copropriétés, tous ces acteurs proposent le Graal !

En premier lieu, la copropriété peut vendre son droit à surélever à un tiers et percevoir le paiement avant même le démarrage des travaux, une fois le permis de construire purgé. Une véritable aubaine donc pour les copropriétés qui ne peuvent pas avancer le coût de la surélévation. Et pour toutes celles qui ne peuvent pas payer des coûts de travaux exceptionnels (par exemple la rénovation d'une cage d'escalier, d'une façade ou la remise aux normes obligatoires), lancer un projet de surélévation permet de réaliser ces travaux dans le même temps sans se ruiner, au contraire en y gagnant. L'avantage de trésorerie et de revenu est donc majeur pour les copropriétés et permet pour certaines de sortir de l'impasse financière. IL est vrai que, selon l'Agence Nationale de Rénovation Urbaine (ANRU), 19 % d'entre elles connaissent des difficultés financières.

Deuxièment, des réductions de charges de copropriétés importantes, jusqu'à 30%, sont promises par les promoteurs de la surélévation grâce :

  • aux travaux d'isolation et de remise aux normes qui permettent de réduire fortement les factures énergétiques... en plus des aides type "bonus malus énergétique" proposées par Nicolas Hulot pour lutter contre les fameuses "passoires thermiques",
  • à la réduction mécanique des tantièmes suite à l'ajout de nouvelles surfaces qui diminue les charges pour les copropriétaires existants.

Enfin, fiscalement, la plus-value de cession de droit à construire n'est pas imposable si vous passez par un professionnel (alors qu'elle l'est si vous gérez cela en direct).

Dans cet article, le magazine Capital estime même à 15 000 € le bénéfice pour chaque copropriétaire en prenant l'exemple de combles de 100 m2 à surélever et à aménager dans une copropriété de 15 appartements. Pour l'architecte Silvio d’Ascia qui a co-réalisé cette étude, il faut compter 4 500 € par m2, auxquels il convient de rajouter 18% de frais d'architecte et environ 10% d'études de faisabilité du bureau d'étude, d'un géotechnicien, de suivi de travaux pour le syndic ou du bureau de contrôle en fin de chantier. A l'arrivée, si l'immeuble est bien situé, la plus-value peut être au rendez-vous.

Mais attention, chaque projet est complexe, spécifique et nécessite un business plan précis. Il convient notamment de bien penser à la valeur finale du bien en cas de revente. Pour des opérateurs privés, le choix de belles prestations permet d'envisager un prix de revente très élévé, unique façon parfois de rentabiliser un projet sur mesure, long et complexe. L'architecte Vincent Eschalier a réalisé par exemple ces 4 maisons sur le toit avec vue exceptionnelle à proximité de la grande bibliothèque dans le 13ème arrondissement. Elles se sont toutes vendues très facilement... à 1,3 mio € chacune pour 80 m2 !  

Un problème d'accès à l'offre

Pourtant, quelque chose ne tourne pas rond sur ce marché. Côté offre, les biens avec un potentiel de surélévation sont abondants et l'intérêt financier des copropriétaires pour une surélévation est évident. Côté demande, la possibilité d'avoir un dernier étage lumineux, loin du bruit et avec vue fait rêver tous les acheteurs. Beaucoup sont prêts à payer cher pour un bien rénové en hauteur, voire à s'éloigner un peu du centre de Paris.

Et pourtant le marché reste microscopique, très loin des 40 000 logements estimés par l'APUR et la mairie de Paris.

L'accès à l'offre est un des problèmes majeurs pour les acheteurs. Pour Philippe Pozzo di Borgo, “la zone de recherche se fait avec un bâton de pèlerin”. Les immeubles à potentiel (toits plats, dents creuses, toits pentus avec du foncier aérien) ne sont en effet recensés dans aucune base de données et leur localisation est très complexe. Rechercher sur Seloger ou LeBoncoin un dernier étage ou une maison de ville est également inefficace et chronophage : la pauvreté des textes, l'absence de photos de la façade ou d'adresse précise ne permet pas de juger d'un immeuble à potentiel. Et quant à deviner sur photo si la copropriété est prête à céder ses droits de surélévation, c'est encore plus impossible.

Forte de ce constat, la juriste Stella Haumont associée à l'agence spécialisée en surélévation Malbrand Architecture, se lance dans la bataille en 2016 avec sa plateforme Dent Creuse (aujourd'hui disparue). L'ambition : mettre en relation des vendeurs et acheteurs potentiels de droits de surélévation, qu'ils soient particuliers ou professionnels spécialisés. Cependant, le nombre d'offres reste encore très limité et le besoin de notoriété comme de pédagogie reste énorme pour cette belle idée.

surélévation rue desfeux

Surélévation rue Desfeux

Des surélévations surtout de propriétaires uniques

Il faut dire que la majorité des surélévations (54%) récentes ont été menées par des propriétaires uniques (propriétaires physiques ou personnes morales comme des banques, assurances, SCI privées ou bailleurs sociaux), alors qu'ils ne représentent que 27% des logements à Paris.

Autres chiffres intéressants de l'Agence Parisienne d'Urbanisme (APUR) qui a analysé tous les permis de construire de 1990 à 2001 :

  • 30% des surélévations portent sur des maisons individuelles ou des hôtels particuliers, alors qu'ils ne représentent que 7% des parcelles à Paris !
  • Plus de la moitié des surélévations (55%) jusqu'en 2011 sont des extensions de copropriétaires du dernier étage et non de nouveaux logements sur le toit au bénéfice d'une copropriété entière.

Regardons à Londres, où les projets de surélévation sont plus courants qu’à Paris. Le statut des copropriétés y est très récent (2002) et la majorité des bâtiments appartient à un mono-propriétaire qui consent des baux de long terme (99 ans en général) aux « propriétaires ». Le gros-œuvre appartient donc à une seule personne qui peut décider de l'amélioration ou de la surélévation de l’immeuble.

De là à dire que copropriété et surélévation ne vont pas bien ensemble, il n'y aurait presque qu'un pas. 73% des immeubles parisiens sont en copropriétés et le potentiel de surélévation est partout ! Mais comment faire ?

Le droit de véto du propriétaire du dernier étage a été un premier frein identifié par les pouvoirs publics et supprimé en 2009 par la loi Boutin. En effet, il avait des effets pervers sur les projets de surélévation d’intérêt général : les copropriétaires du dernier étage monnayaient systématiquement ce droit de véto à des prix exorbitants et tuaient dans l'oeuf de nombreux projets, s'ils ne faisaient pas la surélévation-extension pour eux-mêmes bien sûr.

Ouverture terrasse dernier étage

Extension surélévation à Paris

Des freins psychologiques au niveau des copropriétés

Et si le vrai problème de ce marché de la surélevation était dans la copropriété elle-même ?

Vous connaissez la tragédie des communs et le dilemme du prisonnier ?

  • Dans le premier cas, c'est le phénomène qui consiste collectivement à surexploiter une ressource (par exemple en abîmant ou ne prenant pas soin des parties communes) ou en se désintéressant de son entretien (par exemple en faisant preuve d'absentéisme aux assemblées générales de copropriétaires ou en bloquant des décisions, laissant une copropriété se dégrader).
  • Dans le second cas, c'est la situation où plusieurs acteurs qui auraient un intérêt objectif à collaborer pour améliorer leur gain collectif (par exemple surélever un toit) ne le font pas et choisissent de "se trahir" pour un gain personnel faible ou nul.

Combien de copropriétés en réalité sont confrontées à ces phénomènes ? Difficile à dire. Mais les cas où les enjeux personnels empêchent la maximisation du bien collectif sont loin d'être rares.

Pour Nicolas Catania, Responsable AP Surélévation, "Il faut souvent plus d'un an pour convaincre les copropriétaires de l'intérêt réel, c'est souvent très compliqué à gérer". De nombreux facteurs et freins psychologiques existent en effet dans le cas d'un projet de surélévation.  

Parmi ceux-ci :  

  • La difficulté à valoriser de façon objective un droit à surélever. C'est un premier écueil d'une copropriété qui souhaite vendre son droit à surélever à un tiers promoteur. Les règles de calcul ne sont pas simples et s'accorder au sein de la copropriété sur un montant peut être très long.
  • L'incertitude et la peur de la nouveauté. Même si ce genre de projet est bien maîtrisé aujourd'hui d'un point de vue technique, administratif et juridique, il peut faire peur à certains copropriétaires.  
  • La peur de recours de voisins. C'est en effet une réalité connue : des voisins peuvent tenter de bloquer un projet et parfois cela marche, comme dans le cas de la surélévation d'un supermarché Leader Price dans le 15ème arrondissement.
  • Le sentiment de perte de valeur du propriétaire du dernier étage. Paradoxalement, c'est le propriétaire de dernier étage qui, décidant de ne pas réaliser "seul" une extension (il a perdu son de droit de véto depuis 2009 mais conserve un droit de priorité), peut se sentir "lésé" ou le moins avantagé. Il a souvent le sentiment que son appartement perdra en prestige et en valeur, n'étant plus le dernier étage... Même si, bien évidemment, il ne descend pas plus d'un étage qu'il ne perd en lumière !
  • La difficulté à évaluer la gêne occasionnée pendant les travaux. Ceux-ci affectent en effet certains copropriétaires plus que d'autres et peuvent donner lieu à des disputes infinies entre ceux en faveur ou opposés au projet.  
copropriété

Réinventer la copropriété ?

Un projet de surélévation est donc souvent une comédie humaine où les jeux de pouvoir peuvent ressortir et faire capoter de nombreux projets. Résultat : moins de 10% des projets démarrés aboutissent !

Le besoin de pédagogie auprès des copropriétés est donc capital. Le cadre économique, juridique, technique et réglementaire semble être bien en place. C'est grâce à cela que des projets peuvent émerger. Mais pour que ce marché de la surélévation se développe vraiment, gageons que la prochaine étape sera d'imaginer des formes nouvelles de coopération et de propriété partagée plus efficaces que les copropriétés actuelles à Paris.

Sacré challenge qui nous concerne tous finalement car il questionne la notion même de propriété. Si l'on croit au partage et que l'on ne veut pas de villes de propriétaires uniques, privés ou institutionnels, il est peut-être temps d'inventer une modèle de plus moderne et efficace en terme de gouvernance que nos copropriétés actuelles.

Alors, si vous vous lancez dans un projet de surélévation, ne sous-estimez pas le sujet de la copropriété. C'est peut-être le seul dernier point dur d'un tel projet. Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas.

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